Armelle se laisse aller !

Armelle, privée de sa fille se sentait un peu solitaire dans sa cabane. Elle n'avait plus pour compagnie que celle de Tom qui ne la quittait pas de son regard amoureux et la suivait pas à pas. Malgré le froid, elle continuait à se baigner dans l'étang, couvert, au matin, d'une légère brume bleutée, semblable à une haleine de fantôme. Elle nageait avec le Labrador pour escorte.Dont l'instinct de chasseur le poussait, souvent, à s'écarter d'elle pour aller chasser dans les roseaux. Un grand bruit d'ailes claquantes et quelques couinements précédaient, alors, le retour du chien tenant un volatile encore vivant et pantelant en travers de sa gueule.
Armelle achevait, alors l'oiseau en lui tordant le cou, avant de le plumer encore tiède et de le mettre à la broche. Tom jappait en agitant la queue. Il savait qu'une partie du festin serait pour lui.
Un matin où elle nageait comme de coutume,au milieu des bancs de lentilles d'eau, émergeant de la brume, la tête et le torse d'un homme se dressèrent au dessus de l'eau. Nullement effrayée, elle sut immédiatement qui était là, devant elle.
-"Armelle, tu lambines, tu traînes, tu n'es plus assez active. Si tu continues, il va falloir que je me passe de tes services
Je vais m'occuper de ta fille et lui transmettre tes pouvoirs. Avec ce que tu lui as déjà appris, elle sera certainement une bonne collaboratrice. Elle est pleine de feu et d'enthousiasme. Je vois çà quand je jette un coup d'oeil chez le notaire. Elle est juste un peu jeune, mais je lui attribuerai des victimes de sa génération. Il n'en manque pas. Alors reprends toi et agis !
La silhouette disparut, comme elle était venue et Armelle se retrouva seule et transie de froid au milieu de l'étang. En remontant vers sa cabane dont la cheminée laissait échapper un mince filet de fumée bleue qui se confondait avec la brume sur l'étang, son chien sur les talons, Armelle se sentait lasse.
C'était vrai que ces derniers temps elle avait négligé ses actions malfaisantes pour ne donner que des soins curatifs.
Elle en avait assez de la méchanceté de la haine, de la noirceur des âmes, des coeurs et des cerveaux.Depuis la mort de Romain, de Maryvonne, de Rémy et de Ramon et depuis qu'elle avait fait trépasser le notaire pour venger Gloria, elle pensait avoir accompli sa mission de sorcière.
Elle avait en permanence un goût de cendre dans la bouche. Elle resta prostrée plusieurs jours sur son lit, sans boire ni manger. Sans même entretenir le feu dans l'âtre aux cendres devenues froides.
Au crépuscule du septième jour, elle était faible. Elle avait l'impression que son corps flottait au dessus du lit. Elle voulut se lever pour aller jusque sur le seuil contempler le ciel au couchant, mais elle retomba, assise sur le lit.
Le Labrador qui somnolait devant la cabane, l'entendant bouger se leva et vint vers elle, soudain très agité. Il se dressa sur ses pattes arrière et mis ses pattes avant sur ses épaules. Sa lance rouge était sortie de son étui comme s'il voulait copuler et lèchait, avec frénésie, le visage d'Armelle, comme il l'avait fait, jadis avec Maryvonne ! Armelle comprit qu'il était bien l'envoyé de Belzébuth.
Elle voulut le repousser, mais grand et fort le chien en rut sauta sur le lit. Armelle tenta encore de l'écarter. Voyant qu'il n'arriverait pas à ses fins, tendu et grondant, il lui sauta à la gorge comme si c'était une oie sauvage. Elle mourut sans un cri et son dernier souffle se mêla à l'haleine pestilentielle du chien: L'haleine de Satan !